
L'Internet du Milieu : « diēwèi » ou la version chinoise de « OK boomer »
Chaque semaine, la rédaction décortique pour vous un phénomène social ou culturel à travers le jargon de l’Internet chinois. Au menu cette semaine : diēwèi (爹味), une sorte de « OK boomer » à la chinoise, qui est considéré comme un cri de révolte de la jeunesse contre la génération précédente, dont la parole, souvent conservatrice, domine dans la sphère publique et privée en Chine.
Composé de diē (爹) pour « père », et wèi (味) qui signifie « goût », l’expression diēwèi 爹味 est souvent utilisée pour se moquer des hommes conservateurs, des donneurs de leçons parfois condescendants, des machos maniaques du contrôle, ou des prétentieux qui cherchent à exister en écrasant les impuissants et en discriminant les femmes…
L’acteur quarantenaire Huang Xiaoming s’est vu affublé de diēwèi après que sa petite phrase – « Ton avis ne compte pas, l’essentiel c’est ce que je pense » – soit devenue virale sur les réseaux sociaux chinois en 2019. Pour beaucoup d'internautes, l'acteur représente l’image d’un père traditionnel: autoritaire, qui rejette toute contestation.
Selon l'analyse du média Hongkongais The Initium, dans une société patriarcale, les hommes sont des pères de familles conventionnelles qui possèdent les droits propriétaires et imposent leurs propres lois aux autres membres de la famille. Ils ont également une voix dans la sphère économique, politique et médiatique. Ce sont ceux-là mêmes qui sont catégorisés diēwèi.
Témoins de l'émergence de cette fracture générationnelle, ces hommes d’un monde révolu tentent tant bien que mal de se concilier avec la jeunesse. C’est le cas de He Bing, acteur de 52 ans, qui a rendu hommage, lors de la journée de la jeunesse (le 4 mai), aux Millennials et à la génération Z, en ne tarissant pas d’éloges à leur égard. Mais son public visé se retourne contre lui en taxant son discours de cent pour cent diēwèi. « Soit les jeunes sont des bons à rien, soit ils ont raison sur tout. Derrière ces deux discours, qui s'opposent l'un à l'autre, se cache l’arrogance de la génération dominante, incapable d'entamer un dialogue au même pied d’égalité », commente le quotidien Xinjingbao.
He Bing lors de son discours dédié à la jeunesse chinoise © Capture d'écran
« Le style diēwèi incarne l’autorité et le statut dominant, qui suscitent de plus en plus de protestation chez la jeune génération », analyse le média Vista.
Pourtant Zhang Wenhong, docteur de 50 ans et visage de la lutte contre le Covid-19 en Chine, est acclamé comme un anti-diēwèi pour son expertise et son style direct, comme en témoignent plusieurs de ses déclarations publiques en pleine crise épidémique : « on ne peut pas exploiter les personnes parce qu'elles sont obéissantes » ou « les infirmiers sont aussi importants que les docteurs », jugées sincères et empathiques par son jeune public. C'est sans doute l’une des plus belles preuves de solidarité qui existe encore entre les générations dans la société chinoise.
Photo du haut : L'acteur chinois Chen Jianbin dans une série télévisée chinoise © Compte officiel Weibo
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